mars 2015
Gilles Peycelon est parvenu à conjuguer sa carrière de joueur (1982-1988) et ses études. Au point d’être devenu avocat, en 1992.
J’ai bénéficié d’un concours de circonstances. Comme j’étais stéphanois, le club n’a pas eu besoin de n’enlever de mon cadre familial. Dès la fin de ‘entraînement, je rentrais chez moi avec la volonté l’aller au bout de mes études car le club ne me proposait pas de contrat. Il m’avait sous la main. J’étais in bouche-trou, le Peycelon du coin qui faisait moins rêver qu’un étranger. J’ai commencé à mener une double vie en 1977. J’étais en terminale, avec quarante heures de cours par semaine, et trois ou quatre entraînements en fin de journée. Plus le match du week-end. J’ai décroché mon bac à dix-sept ans et je l’ai jamais redoublé. J’étais le roi de la photocopie à la fac, où j’ai obtenu une maîtrise en droit (Master 2) avant de passer pro.
Oui. À vingt et un ans. Je ne me trouvais pas dans l’antichambre des pros comme Laurent Roussey, Éric Bellus ou Jean-Louis Zanon. Pour moi, le foot était un plaisir. Je m’éclatais à y jouer à un bon niveau (en D3), sans manger foot tous les jours. J’étais un amateur éclairé et champion de France universitaire en 1980 contre le Toulouse de Jean-Luc Sassus et Jean-Philippe Durand, qui faisaient pharmacie. Jusqu’en 1981, où j’ai flambé lors d’un lever de rideau contre les Verts de Sherbrooke, année où on a été champions de D3 avec Guy Briet. Les Canadiens m’ont proposé de venir jouer chez eux de mai à septembre. J’avais une carte verte pour émigrer là-bas. Mais, à mon retour, Saint-Étienne, où je jouais depuis l’âge de dix ans, a refusé de me délivrer une lettre de sortie. Le jour de mon départ, il m’a fait signer pro. Trois mois plus tard, je débutais en D1 en remplaçant Bernard Genghini à un quart d’heure de la fin à Monaco (2-2, le 6 novembre 1982). J’étais déjà sur un nuage rien qu’en sortant du tunnel avec le maillot stéphanois sur le dos. Je me disais : « Mais qu’est-ce que je fais là, aux côtés de Johnny Rep et de Patrick Battiston ? » Je vivais un conte de fées et il était impressionnant. J’étais tellement shooté de bonheur que je ne me souviens plus du match.
Oui, car je suis parti un an à l’armée en décembre. Comme j’étais sursitaire et qu’il n’y avait pas de place au Bataillon de Joinville, je me suis retrouvé planqué à l’état-major de Lyon. Ma solde de chauffeur d’un général me permettait de payer les copains pour effectuer les gardes à ma place et pouvoir ainsi revenir jouer en pro le week-end.
J’en suis persuadé. C’est le système des vases communicants. Joueur, je possédais une forme de maturité tactique pour compenser le fait que je n’étais pas un génie technique. Étudiant, je devais faire preuve de rigueur et de travail, comme dans mon jeu. Il me fallait gérer mon emploi du temps, le stress des matchs et des examens. Mais le discours juridique n’est pas celui d’un vestiaire. Je me suis réinscrit en auditeur libre à la fac, en 1991, pour me remettre à niveau. Cette fois, j’y suis allé tous les jours. J’avais pourtant une femme, deux gosses et je jouais en D3 avec Hervé Revelli à Saint-Priest. Fin 1992, je prêtais serment comme avocat.
Non. Je n’ai jamais véritablement été intégré. J’ai toujours été considéré comme un intellectuel chez les sportifs et comme un sportif chez les intellectuels. À mon arrivée au barreau, un avocat m’a demandé : « Il y avait autant de cons chez les footballeurs qu’on le dit ? » Je lui ai répondu : « Cher confrère, pas plus que chez les avocats. Les footballeurs, eux, ont l’excuse de ne pas être instruits. » J’en ai souffert. Mais ça m’a forgé le caractère. J’étais dans les tribunes à Hampden Park, en 1976, puis dans celles de Geoffroy-Guichard contre Split et Kiev. Et je suis descendu sur le terrain pour défendre les couleurs stéphanoises. Cela valait bien tous mes efforts. J’ai vécu un rêve.
Propos recueillis en mars 2015, à Saint-Étienne